Pavé des Pentes a écrit:Du sable sur les vinyles15 ans qu'ils scratchent des beats rondouillards et colorés, et qu'ils distillent leurs saluts à Jurassic 5 ou Dilla dans leurs tracks. 15 ans qu'Hocus Pocus existent, et 2 ans après
Place 54, ils continuent de nous la jouer prophète des chiffres avec
16 Pièces, nouvel album au titre plutôt euh... expéditif. Un qualificatif qui pourrait relancer la division éternelle : après 15 ans et le recyclage de ce qu'il fait de mieux, HP innove-t-il encore dans le paysage morcelé du rap français en 2010 ?
"We've got jazz."Des débuts discrets, une mise en avant lors du succès de leur premier album
73 Touches, une patte unique, soul jazz HH, héritée du traumatisme commun d'A Tribe Called Quest, Pete Rock et les souvenirs de la côte Est des Etats Unis durant les 90's. Et comme pour tout groupe de rap qui se démarque de l'héritage
ghetto sitcom français du mouvement, toujours ce débat infini : le rap contre le hip hop, le flow et les punchlines contre le beat et les instrus. Tout le monde s'accorde à juger un 20Syl comme à des années lumières d'un Rocé ou d'un Oxmo Puccino, misant trop sur la dorure de ses prods pour faire passer la pilule au plus grand nombre. J’ai moi-même craint le retour des nantais sur le devant de la scène : suivre la voie des opus précédents pour un album trop consensuel, qui plairait à tout le monde et dans lequel je ne me retrouverais plus.
Grosse surprise,
16 Pièces est au niveau de
Place 54. Pas en dessous car la prod est encore un cran plus maitrisée. Pas au dessus car effectivement, HP reprend sa pâte et la retravaille à l'identique.
16 Pièces c'est un peu
Place 54 sans la surprise, avec un retour à des beats plus soulful, qui faisaient la particularité de
73 Touches. Passons sur la pochette ultra moche et le titre plutot facile pour se concentrer sur le contenu. Les feats sont plutôt bons : Oxmo Puccino assied son statut de meneur lyrical sur le génial
Equilibre, et Akhenaton se la joue lui-même, vieux guerrier du rap qui a tout vu, sur
A mi chemin, premier single plutôt conforme à ce qu'on attendait d'une collab' entre 20Syl et le routard d'Iam, mais honnête au demeurant. Cela dit, le reste des invités ne place pas la barre au niveau des précédentes collaborations. L'absence des Procussions depuis leur split se fait ressentir, même si
Signe des temps avec Stro The 89th Key apporte le meilleur son de l'album, aérien, à l'instru démentielle, et aux scratchs chirurgicaux. Elodie Rama rejoue les chœurs sur une autre nouvelle ode au hip hop,
Portrait, aussi poétique que le
Voyage immobile de
Place 54 dans son ambiance propre, Alice Russel ou Jay Medeiros passent plus inaperçus, les perfs recyclant quand même le mix habituel d'HP.
Crise d'identitéCar le défaut majeur de
16 Pièces, c'est bien d'être un simple prolongement de
Place 54. C'est beau, mais souvent inoffensif – les skits inutiles car même pas travaillées, ou des morceaux plus passables comme
Le majeur qui me démange ou un
Marc imagé mais un peu facile. Les thèmes tournent un peu en rond aussi : 20syl dénonce les marques de sape, parle des enfants soldats, de la musique de merde, et des méchants médias… Il continue d'enfoncer des portes ouvertes, ça rappe pas terrible et on s'y ennuie. La comparaison avec Delerm est parfaite. La forme de perfectionnisme qu'on retrouve dans la musique du groupe, on ne la retrouve pas dans le texte et on ne la retrouve pas dans le flow, loin d'être lumineux (avec cependant une présence impressionnante en live, la tournée de
16 Pièces promet du lourd après l'expérience du Transbo à Lyon la semaine dernière, courez les voir !). Les textes sont toujours ciselés mais peinent à se renouveler dans les thèmes les plus communs au groupe.
Quelques belles trouvailles quand même,
Papa?, sur le scepticisme de 20Syl d'être père de famille, l'étonnant et sublime
25/06, seul morceau au parlant de Mickael Jackson que j'aurais aimé dans ma vie, un très beau
100 grammes de peur clôturant le LP comme
Voyage immobile dans le précédent opus, montant en intensité progressivement sur une instru jazzy nocturne et inspirée. Bien que l'exercice fasse un peu calque du précité, le text est sans doute l'un des meilleurs écrits par 20Syl. Ca manque aussi de pépites plus bondissants comme l'étaient
Hip hop?,
Vocab! ou
On and on, dommage, car même si son credo est le jazz and soul, le groupe était aussi le plus intéressant dans ses morceaux plus nerveux. Par contre sur la forme, 20Syl et son crew sont toujours appliqués et passionnés : même sur l'élocution, la prononciation, ça se voit que ce mec écoute du rap américain et qu'il en connait bien les codes, c'est musical même dans la façon de poser, et la prod est bétonnée double couche. Les skeuds, qui ont leurs défauts pour une écoute intime, sont toujours taillés pour le live : les nantais ont su étoffer leurs prestations au fil du temps et plaire au plus grand nombre (dans le bon sens du terme, en les amenant dans leur univers) tout en proposant une expérience live réellement communautaire et impliquée.
Sous l'inertie, les samples16 Pièces est une nouvelle salve de HH organique dont on retiendra encore une fois le côté scolaire, "hommage à la oldskool", et mérite beaucoup plus que de devenir la bande son idéale des cafés branchés de Paris. Il manque à
16 Pièces le grain d'inventivité et d'exploration qui avait chamboulé la structure du groupe, lors du passage des autoproduits rap de leurs débuts au style de
73 Touches. Assurément, c'est un très bon album soul hip hop, un des poids lourds de ce premier semestre 2010, aux prods toujours au top, regorgeant toujours de scratch (merci pour ca, franchement), mais il lui manque une orientation réelle, qui pourrait asseoir le groupe sur sa position de leader alternatif, et les extirper de l'inertie naissante autour de leur position, le cul entre deux chaises (tracer leur beat ou faire des hommages perpétuels).
20Syl est assurément plus intéressant quand il retrace des bouts de vies qui évoquent à chacun un souvenir (
Place 54, J'attends, Papa?, Du sable sous les paupières) que quand il dénonce le capitalisme, les NTIC ou les guerres dans le monde. Ne manque à la qualité remarquable de leur production et de leurs trouvailles sonores qu'une orientation purement ciblée, de préférence celle qui contemple les pavés des rues et les fenêtres des maisons pour en tirer des histoires, quitte à revenir aux egotrips et mixes des débuts pour relancer la patate dans leur son, organique et jazzy à souhait mais qui se ressemble trop souvent d'un morceau à l'autre sur la durée. Les sceptiques passeront, mais les fans et les amateur de soul hip hop peuvent se jeter sur cette galette, qui recycle ses péchés mais envoie aussi des samples de brutes dans les oreilles, c'est déjà ça.
Beats qui démontent : -Signes des temps (feat.Stro The 89th Key & J.Medeiros)
-25/06
-100 grammes de peur
-Papa?
-Portrait (feat.Elodie Rama)
On & On Records :
http://www.onandon-records.com/Myspace :
http://www.myspace.com/hocuspocushiphop